Le silence des vagues – Camille Philibert

La porte du living s’ouvre d’un coup. Une grande brune, costaude. Visage ovale, yeux de ciel brumeux, bouche rouge, mâchoire trop découpée, un long cou, des épaules carrées qui n’ont pas besoin de rembourrage pour sa veste en jean. Elle s’en débarrasse. Son tee-shirt blanc fait ressortir la musculature de bras de lanceuse de javelot. Un regard vers la terrasse ensoleillée, le ciel outremer de Djerba, la fluidité de sa démarche allège sa silhouette athlétique. Elle fait coulisser la porte fenêtre, sourit, avance sans hâte jusqu’au rebord. Elle toise la ville sans fin qui s’étend en-dessous. Son sourire s’élargit. Entre ses lèvres sanglantes, impeccablement rangées, rectilignes, carnassières. Là où elle l’a envoyé, de l’autre côté de la mer, il y a peu de chance qu’il revienne un jour…

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Le fracas mécanique des vagues lui détraque le système. La soif le possède. Olivier part sur la gauche. Essuie le rideau acide qui dégringole sur ses yeux. Encore une étendue blanche, intacte à traverser. Un pas. La chaleur du sable s’imprime sous ses pieds. L’homme sort une paire de ray ban de sa besace, la cale sur son nez, avance en direction des dunes lointaines. Rejoindre sa caisse et se barrer de cette foutue plage. Sa gorge est desséchée. Et ces putains de vagues qui n’arrêtent pas de se fracasser. A trois cent mètres devant, une tache sombre. Un peu vouté, l’homme avance jusqu’à distinguer une silhouette accroupie… près de quoi ? Comme un corbeau immobile sur une tige noire, un robinet. Olivier allonge le pas, trébuche, se redresse tout en accélérant, personne ne lui a parlé de ce point d’eau, il va s’élancer pour courir…Un robinet. La silhouette se tourne lentement, une face sombre, deux yeux qui le regardent durement, un sourire en biais qui lui rappelle quelqu’un…Le pêcheur croisé il y a plus de trois jours, à la sortie du village. Qui a craché à coté de lui en marmonnant une phrase incompréhensible. Le pêcheur se lève devant le robinet, tête baissée, regard opaque qui défie, noirceur qui s’enfonce dans son crâne desséché. L’homme s’arrête. Serre les poings. Pourquoi l’autre fouille dans sa djellaba ? Il en sort un couteau. Les rayons du soleil convergent en bloc sur la lame d’acier, insupportable l’éclat qui rebondit. L’horizon s’efface. La main de l’homme tâtonne dans la besace, agrippe le revolver, jamais eu aussi soif, à vingt mètres viser l’autre dans l’éblouissement. Appuyer sur la gâchette brûlante, la déflagration fait enfin taire les vagues, appuyer encore, encore, le silence résonne l’autre s’effondre mollement sous le robinet, gros sac sombre où tombe une goutte. Minuscule miroir où tremble un visage.

Auteur : Camille Philibert http://revuedistorsions.blogspot.fr/

 

L’évaporation du commencement, par Camille Philibert-Rossignol

Lambert cherche comment commencer son vase communicant de Juillet. De quoi pourrait-il bien parler ?

Sur le quai de la station Porte des Lilas, une phrase surgit dans les brumes de son esprit,

– Peu importe le contexte, même dans un miroir un reflet ne dit pas plus qu’il ne montre.

Puis Lambert se dit qu’un début de texte mériterait une première phrase plus définitive, genre

– A partir de quelle intensité d’obscurité s’estompe le contour d’un reflet.

Lambert se gratte la joue. Il apprécie la sonorité mais ne comprend pas le sens. Calé sur une banquette de métro, devant ses yeux entrouverts apparait

– Peut-être n’y a-t-il rien à voir, la nuit est peut-être tombée.

Lambert sourit, il trouve à ce début un petit côté galvanisant. Il sent qu’il tient quelque chose. A la sortie porte Berger de la station Les Halles, soudain dans l’air des petits points. C’est des lettres qui viennent d’apparaitre, elles virevoltent rapidement. Un essaim de mouches à patin qui dansent dans l’air devant les yeux de Lambert. Entre lui et l’église Saint Eustache, elles jouent à saute-mouton dans l’air, pendant quelques secondes elles forment des mots, toute sorte de mots qui se défont aussitôt. Même pas le temps de lire. Lambert traverse la rue. Venues de nulle part, plusieurs phrases se forment en apesanteur.

– Plus opaque qu’une forêt sans lune, plus mat qu’une tache d’encre de chine, le reflet s’estompe encore jusqu’à ce qu’on ne discerne plus aucun contour, nulle forme. Nulle preuve d’existence d’un visage. Un visage avec un nez qui existe, une bouche qui existe, des yeux qui existent, des iris qui existent, des pupilles sombres dans lesquelles se perçoit un contour ovale et minuscule. Un contour incorporé. Le reflet d’un visage que fixerait un oeil.

En arrivant rue Montorgueil Lambert tâte ses poches, il devrait y avoir un stylo, un carnet. Ses mains ne trouvent rien. Souffle de vent, l’essaim de mouches se disperse, les lettres vibrent, les mots se disloquent. Et la phrase s’évapore…Lambert baisse la tête, une flaque, il allonge sa foulée et l’enjambe. Soupire. C’est con, si prêt de chopper une amorce, un début.

Lambert cherche comment commencer son vase communicant de Juillet.

Ce mois-ci, mon vase se trouve ici

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